Valorisation du bioCO2 : un enjeu pour la pérennisation des méthaniseurs

Valorisation du bioCO2 : un enjeu pour la pérennisation des méthaniseurs

Jusqu’au 21 mai 2021, les porteurs de projet d’Auvergne-Rhône-Alpes peuvent répondre à un appel à projets (AAP) lancé par GRDF pour la valorisation du bioCO2 issu des sites de méthanisation. Bastien Praz, chargé de développement biométhane à GRDF, nous explique les enjeux de ce coup de pouce à un marché d’avenir… pour peu qu’on l’aide à se structurer en filières de proximité.

Quel rôle jouez-vous dans cet appel à projets ?

À la Direction Biométhane, nous avons un budget de R&D alloué au développement de la filière, orienté sur cinq axes dont un dédié à la compétitivité du biométhane. C’est dans ce cadre que nous lançons cet appel à projets sur la valorisation du CO2 rejeté dans l’atmosphère lors de la méthanisation, car cette valorisation pourrait constituer un revenu complémentaire pour les producteurs de biométhane et donc, participer à la compétitivité de celui-ci.

Mon rôle a été de coordonner l’élaboration du cahier des charges, en lien avec la Direction Auvergne-Rhône-Alpes où l’AAP est lancé. Je coordonnerai également le processus de sélection des lauréats.

À quelle problématique répond plus précisément l’appel à projets ?

Crédit photo : © Stéphane Compoint

Le coût des sources conventionnelles de CO2 étant très faible, un producteur de biométhane ne peut pas s’aligner sur ces prix car les volumes de CO2 produits ne sont pas suffisants par rapport aux coûts fixes engendrés. Il lui est donc difficile de trouver des débouchés.

Cependant, ce CO2 biogénique a un atout indéniable du fait qu’il est produit localement, contrairement aux gaz conventionnels qui proviennent de l’importation. Or le coût du transport entre pour un part importante dans le prix au consommateur ; nos études montrent que si le bioCO2 parvient à trouver des acheteurs proches des sites de production, son coût pourrait être divisé par deux ou trois et devenir compétitif.

Il y a une carte à jouer sur cette opportunité de revenus complémentaires. Cela peut contribuer à pérenniser les méthaniseurs, notamment au-delà des quinze premières années où ils bénéficient de prix d’achat garantis. Mais le coût d’investissement initial freine la motivation des producteurs.

L’enjeu est donc principalement économique. Est-il aussi environnemental ?

Le CO2 produit par les méthaniseurs, aujourd’hui rejeté dans l’atmosphère, est considéré comme neutre pour le climat, car il est capté au moment de la croissance des plantes. Il n’y a donc pas d’enjeu majeur à ce niveau, mais un « petit bonus » du fait que cela permet de rejeter moins de gaz à effet de serre, donc d’améliorer le bilan carbone global. À terme, étant donné l’objectif national de neutralité carbone en 2050, on peut imaginer que tout non-rejet de CO2 sera valorisable, ne serait-ce que dans la perspective de taxes carbone qui vont augmenter à mesure qu’on s’approchera de l’échéance.

Y a-t-il également des avancées technologiques à attendre pour la récupération de ces évents ?

A priori, les technologies sont matures... même si nous sommes ouverts à toute proposition d’amélioration. La seule difficulté est de les rendre compétitives à l’échelle « miniature » d’un site de méthanisation.

C’est donc uniquement pour des raisons de coût d’investissement que cette valorisation n’est quasiment pas pratiquée aujourd’hui ?

Le problème est surtout logistique. Le CO2 se transporte par camion, à basse température ; cela nécessite un conditionnement complexe et coûteux qu’il faut pouvoir amortir dans des filières locales, avec des débouchés suffisants et réguliers, qui sont difficiles à trouver.

Aujourd’hui, un seul site en France, près de Nantes, valorise le CO2 en fournissant une serre. Mais ce projet est né du hasard de conditions favorables : des acteurs qui se connaissaient, des installations proches l’une de l’autre…

Précisément, quels sont les consommateurs potentiels de CO2 ?

À l’échelle nationale, 70 % de la consommation est absorbée par l’agro-alimentaire, surtout pour les boissons gazeuses. Mais ce n’est pas notre cible prioritaire car elle exige une qualité et une traçabilité que les méthaniseurs ne peuvent pas garantir.

Nous ciblons donc les autres usages : les serres agricoles d’une part, qui utilisent du CO2 pour accélérer la croissance des plantes, et d’autres industries utilisatrices, assez diverses : fluides réfrigérants, extincteurs, décapage des façades, etc. Il y a aussi des usages émergents, par exemple la maturation du béton ; cette technologie est appelée à se développer car elle permet de renforcer le durcissement, de réduire les besoins en eau et de raccourcir la période de maturation. Le CO2 peut aussi entrer dans la fabrication des méthanols et éthanols ou dans certains e-plastiques.

Pour ces petits ou moyens consommateurs, le prix du CO2 conventionnel peut s’avérer fluctuant et ils sont les premiers touchés en cas de pénurie, comme cela a été le cas durant la coupe du monde de football, où la consommation de bières et sodas est montée en flèche.

Ils pourraient donc être intéressés par une production locale, qui leur garantirait des prix stables et une sécurité d’approvisionnement. Mais il n’est pas facile de les identifier, justement du fait que ce sont de petites industries.

Il s’agit donc pour nous de contribuer à structurer un marché le plus local possible. Non seulement pour pérenniser les sites de méthanisation, mais aussi pour les ancrer localement. En encourageant l’économie circulaire, nous contribuons à soutenir les entreprises, les emplois et les énergies vertes.

C’est pour cette raison que l’AAP se concentre sur une seule région ? Pourquoi avoir choisi Auvergne-Rhône-Alpes ?

Nous aurions pu lancer un appel national avec des critères de chaîne de valeur locale. Mais notre intention est aussi de nous appuyer sur nos équipes régionales, qui connaissent bien les sites de production, le contexte et le tissu économique local, et qui pourront participer à l’accompagnement des lauréats.

Nous avons choisi cette région car elle contient à la fois un tissu industriel fort et des sites de méthanisation. Elle constitue donc un terrain propice.

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Quels types de répondants attendez-vous ?

Producteurs, utilisateurs, industriels… Toute la filière peut être intéressée par cette valorisation. Nous attendons des réponses qui mobilisent au moins un méthaniseur, avec un consommateur identifié dans sa proximité. Les projets peuvent aussi viser une mutualisation des moyens logistiques entre plusieurs producteurs pour rentabiliser un investissement.

Nous serons attentifs à ce que le projet soit le plus localisé possible : il ne s’agit pas de faire traverser toute la région aux camions. Nous veillerons aussi à un certain niveau de maturité du projet, en favorisant autant que possible ceux qui concernent les installations déjà en service, pour aider à leur amortissement.

Si je suis porteur d’un projet de ce type en Auvergne-Rhône-Alpes, quel intérêt je peux trouver à répondre à cet AAP ?

Nous sommes restés volontairement ouverts sur l’aide apportée au lauréat, car les besoins peuvent être différents. Si le projet est assez avancé, l’aide pourra être financière, sur un besoin d’investissement.

Notre accompagnement peut aussi être d’une autre nature, par exemple pour analyser un marché local, mobiliser un consultant sur la définition du business plan, financer une analyse de la qualité des offgaz. L’idée est de sélectionner un projet qui a de fortes chances d’aboutir, de par sa maturité ou une forte motivation, et de l’aider à se concrétiser.

Bien entendu, même si nous ne les aidons pas à la même hauteur, nous resterons à l’écoute des non-lauréats dont le projet nous paraît intéressant.

Et si j’ai un projet de ce type mais dans une autre région ?

Cet AAP est un essai, qui vise à aider les premiers projets pour montrer que c’est possible. S’il est concluant, nous n’excluons pas de le réitérer avec d’autres équipes régionales.

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