Hevatech : de la chaleur fatale à l’électricité par le procédé Turbosol
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Rencontre avec Patrick Bouchard, président d’Hevatech, l’un des 5 lauréats de l’appel à projets que GRDF a dédié à la décarbonation de l’industrie au cours du premier semestre 2021.
Qui est Hevatech ?
Nous sommes une petite équipe d’une dizaine de personnes, convaincues depuis le départ que la chaleur perdue représente un gisement énergétique considérable. Nous concentrons nos efforts sur la problématique des rejets thermiques dans l’industrie et en particulier la chaleur fatale. Après avoir travaillé durant plusieurs années sur le stockage de chaleur, Hevatech a opéré un pivot stratégique à partir de 2014 pour s’intéresser à la conversion de chaleur en électricité. C’est ainsi que l’aventure Turbosol a commencé.
Quelles sont les caractéristiques de votre technologie et en quoi répond-elle aux enjeux de décarbonation de l’industrie ?
Notre technologie transforme la chaleur fatale à des températures supérieures à 300 °C en énergie cinétique, par un procédé original qui fait appel à la détente quasi-isotherme de la vapeur d’eau en présence de gouttelettes d’huile très chaude. Lors de cette détente, la vapeur d’eau accélère, entraînant les gouttelettes d’huile en un jet à haute vitesse (200 m par seconde) qui alimente une turbine à action tournant à basse vitesse, du type de celles qui sont utilisées dans les barrages hydrauliques. Nous avons ainsi trouvé le moyen de remplacer la turbine à gaz par un procédé hydraulique, bien moins onéreux et plus robuste et donc plus accessible. Autre avantage, les fluides (eau et huile) sont respectueux de l’environnement, et le procédé n’entre pas dans le cadre de la réglementation d’autorisation sur les ICPE*.
Le procédé Turbosol a également une autre particularité intéressante. Il utilise, comme tout cycle thermodynamique, une source froide pour condenser la vapeur. Or, dans notre technologie, il suffit que cette source froide soit inférieure à 100 °C pour condenser la vapeur d’eau à pression atmosphérique. Ainsi, c’est toute l’énergie primaire qui peut être valorisée sous forme d’électricité autoconsommée et de chaleur basse température – pour alimenter un réseau de chaleur, pour le chauffage de bâtiments, pour la production d’eau chaude sanitaire… ou pour produire du froid par une machine à absorption. On est ainsi dans une logique de cogénération, voire de tri-génération, avec la capacité de valoriser la quasi-totalité de la chaleur fatale haute température, ce qui raccourcit d’autant le temps de retour sur investissement et réduit considérablement l’impact carbone.
Quels secteurs industriels envisagez-vous d’adresser avec cette innovation ?
Nous visons les marchés industriels qui font appel à de la combustion dans leurs procédés. En effet, notre procédé requiert une source de chaleur fatale industrielle d’une température supérieure à 300 °C. La capacité de puissance électrique générée pour une seule turbine s’étend de 30 kWe à près de 1 MWe. À titre indicatif, le marché français a été évalué par l’Ademe à 51 TWh sur 250 sites pour des températures supérieures à 100 °C.
Dans notre approche commerciale, nous avons donc identifié trois secteurs cibles :
- l’incinération de déchets industriels et ménagers ainsi que de boues de stations d’épuration des eaux usées ;
- les industries de transformation qui utilisent des fours (cimenteries, verreries, céramistes, sidérurgie, fonderies, voire agroalimentaire, etc.)
- les moteurs stationnaires de forte puissance (groupes électrogènes, motorisations navales).
Nous sommes en discussion pour l’installation de démonstrateurs dans plusieurs de ces secteurs. Je peux notamment citer Maury Imprimeur chez qui nous allons intervenir sur un projet de CertiNergy & Solutions (filiale d’Engie) pour valoriser la chaleur issue des sécheurs des rotatives.
Le procédé Turbosol est en développement depuis plusieurs années. Quel était pour vous l’intérêt de répondre à cet appel à projets de GRDF ?
Le développement d’un nouveau procédé énergétique s’inscrit dans un temps long, surtout pour une équipe aux capacités de financement limitées. Et si notre module TURBOSOL est simple à fabriquer, il a été particulièrement complexe à concevoir. La technologie utilise deux fluides (eau et huile), dans des phases différentes, et on se trouve aux limites des connaissances académiques, que ce soit en matière de savoir ou de modélisation.
Le fait d’être lauréat de cet appel à projets nous apporte une reconnaissance de l’intérêt de notre technologie et contribue à nous faire connaître des partenaires et clients potentiels. C’est un accélérateur formidable dans le développement commercial du procédé Turbosol.
Comment envisagez-vous le déroulement de cette collaboration ?
Nous entrons à présent dans la phase la plus intéressante où, le concept et les technologies étant validés, nous pouvons installer des démonstrateurs sur sites clients, monter en gammes de puissance, continuer à optimiser la technologie. Il y a beaucoup à faire !
Nous sommes en discussion avec nos interlocuteurs GRDF afin de définir précisément le contenu de cette collaboration qui, je l’espère, s’inscrira dans la durée.
Grâce à ce coup de pouce de GRDF, nous allons renforcer notre capacité de mesures et d’études de dimensionnement. Il est ainsi prévu de nous équiper d’appareils de mesure portables pour quantifier la source de chaleur fatale et sa variabilité, ce que les industriels connaissent assez rarement avec précision. Cette instrumentation mobile renforcera notre crédibilité lors des visites clients et, en association avec un logiciel d’optimisation de dimensionnement, nous permettra d’être plus réactifs et plus pertinents dans notre réponse.
*Installation Classée pour la Protection de l’Environnement